COAT

Dans le petit couloir, j’ai frôlé la poche de mon manteau accroché. Le rouge, avec des carreaux.

Je l’ai regardée.  Un peu déformée  par les passages successifs de ma main, mon bonnet, un livre ou des choses bien trop grandes-même pliées- pour pouvoir y entrer malgré mon insistance. La manche tout contre.

Je passe 100 fois par jour dans ce couloir.

Je voulais attraper le parapluie et j’ai vu que ce soir là la poche n’était pas comme les autres jours. Je me suis arrêtée quelques secondes, je l’ai inspectée. J’ai constaté l’usure en haut et des petites billes de laine sur l’Ecossais qui révélaient un tissu de qualité plutôt moyenne. Un petit bout de plume blanche sue le col venait peut être d’un pigeon ou d’un oreiller.

Alors, comme ça, brutalement, j’ai eu envie d’écrire un très gros livre. Gros comme le dictionnaire des personnages. Gros avec des petits caractères. Comme si on avait choisi des lettres minuscules  pour que toute ma vie puisse entrer.

Gros avec une couverture souple, comme le Journal de Lagarce que je venais d’acheter. et qui comptait 555 pages avec les notes. Il y a sa photo sur la couverture. Il est bras nus et tape à la machine.

Journal 1977 1990

13 ans de la vie d’un type dont je ne sais presque rien. 555 pages.

Je me disais que c’était drôle ces choses là.  Tout à coup un objet, une chose, un truc devient une sorte de signal de départ.

Je pense à présent que tous les grands livres, les livres vraiment importants sont nés d’une poche de manteau. Pas n’importe quelle poche et pas n’importe quel manteau, évidemment

Poche plaquée oui

poche à soufflets oui

Poche de côté : Non

Manteau en velours à grosse cotes oui

duffle-coat oui

gros manteau trop lourd oui

habit sans forme et usé oui

veste oui

Manteau “habillé” non

manteau rouge à petits carreaux oui. Enfin oui jusqu’à un certain moment.

Un gros livre, je suis bien d’accord que ce n’est pas en soi un rêve très malin.

C’est même une idée sotte et orgueilleuse. Une idée pleine d’envie pour ceux qui  ont su “quoi raconter” et encore plus fort, ceux qui ont réussi à ne rien dévoiler tout en ayant l’air du contraire. En fait non, je me trompe,  ceux qui ont réussi à tout raconter en ayant l’air de ne rien dire.

Bref un gros livre. Oh oui.

Moi je n’avais aucun don pour aucun style; Aucune question interessante qui aurait pu faire de moi un interlocuteur “acceptable”; Pas d’idée sur Flaubert, avec ou sans perroquet, une petite idée à propos de cette merveille de Saint -julien…pas d’idée sur Cummings ou Ezra POund; pas assez de temps passé à “ça”. Et pourquoi les autres. Et pourquoi pas moi.

Un jour j’ai dit: la maison de verre d’Eisenstein, vous la connaissez?

Le mec, à vrai dire ce n’était pas un mec mais un ami, m’a regardée bizarrement. Un peu comme si j’étais à côté de la plaque, dirais-je. un air de compassion à peine marquée. Trop nulle. C’est ce que j’ai ressenti. Mais X. tout simplement ignorait cette histoire, oui … C’était vrai mon récit d’Eisenstein.. Il a fait une moue. Je ne savais pas que c’était celle du mec qui ne sait rien mais te remets en question, toi. bref…

Attention,  un gros livre bien, juste bien comme La solitude est un cercueil de verre  écrit trop gros à mon goût avec  aussi une couverture  moche, mais  où on est embarqué directement dans le brouillard de Venice, où le tramway du bord de mer fait un bruit dingue dans le brouillard de Venice. Puis une chambre à Venice avec une machine à écrire , puis sur la plage de Venice dans la villa rouillée d’une star oubliée…. Bradbury auteur de Science Fiction? Pfff.

J’aime cette photo récente de lui, en bermudas et chaussettes longues.Il sourit.

Une idée en entraînant parfois une autre , je me disais qu’il serait plus raisonnable de faire justement le compte de mes idées. Enfin, de préciser un peu ce que j’entendais faire. D’y aller avec humilité, et à la fois ambition. Oui oui, les deux vont ensemble. Comme vont ensemble modestie et prétention quelque fois. Quand une personne timide et réservée, modeste devient pour quelques heures le Maître du monde, c’est impressionnant comme Spencer Tracy qui se transforme en Docteur Jekyll.

Mais celui qui écrit c’est moi?

A ce moment précis où mon cerveau faisait le point, le gros livre perdit plus de la moitié de ses pages. C’est à dire qu’il n’était plus que le dictionnaire de quelques personnages et même, si on regarde les choses en face, d’un seul et pas forcément en entier. Par déduction, je compris que le rescapé c’était moi, et que c’était peut être cela écrire un livre.

Par lâcheté et pour m’arranger des événements, je me suis dit qu’un petit livre qui se glisserait sans forcer dans la poche du manteau à carreaux ne manquerait pas d’élégance et serait la situation idéale. Plat, discret, accessible. Oui.Il ne déformerait pas les poches. Je me trouvais bel et bien devant l’obligation morale d’écrire Bartleby. Enfin je veux dire, d’écrire un livre de la taille physique de Bartleby. Je veux dire la taille des pages, l’épaisseur du dos, etc….

Si on parlait comme au cinéma on dirait: Je prépare un 90 pages, comme un 90 mn. Tout aussi bête. Ecrire un 500000 mots. Ecrire un Huit majuscules est audacieux, Moi c’est un sans fin que je voudrais faire. Sans avoir le moins du monde la moindre idée.. I would prefer to.

Nicolas Gogol écoute ça/ Un singe en hiver

Moi en singe de la couverture d’un magasine

Alors que je sortais de la galerie où nous avions RV avec P.A, je me suis dit que j’allais marcher. Il n’y a que lorsque je bouge que mon dos me fiche la paix. Se lever d’une chaise est douloureux etc…. Bon. Marchons, marchons…. Et tous ces gens avec des paquets, des sacs. Drelin ! Les soldes me dis-je. Et me dis-je aussi, mais Noel c’était hier et ils se précipitent encore pour acheter des trucs?. Bon. C’est néanmoins délicieux de n’être pas dans le rythme des autres et de déambuler nez au vent. J’aperçois dans un magasin un manteau orange que j’avais repéré un jour, puis oublié. A peine vu , il est enfilé. Ho misère, je disparais dans le tissu . On dirait que je vais entrer sur la piste du festival du cirque de Monaco. Je me regarde. Je me fais rire. « Ca taille grand ? «  est la question stupide que je pose. A ce moment là une dame me dit : Il est beau… et je réponds Ah comment vas tu ? croyant reconnaitre je ne sais qui qui n’est pas je ne sais qui mais personne. Bon . Tanpis. On m’apporte le même en couleur rose dentier des années 50. Je ne m’offusque pas. Mais là, c’est le même manteau qui aurait été passé à la machine 60 degrés avec essorage à 1800 tours . Je peux retourner sur la piste du cirque de Monaco pour la deuxième partie de mon numéro.

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